Les décisions récentes du Conseil d’État ainsi que des cours et tribunaux ont mis à l’avant plan l’examen de la légalité de mesures restreignant les libertés individuelles dans l’objectif d’endiguer la pandémie du Covid-19. A cette fin, les juridictions se penchent sur le caractère proportionnel des mesures soumises à leur censure au regard de l’objectif poursuivi, c’est-à-dire, la protection de la santé publique.

Si l’examen de la proportionnalité des mesures restreignant les libertés individuelles dans un objectif de santé publique se retrouve aujourd’hui au-devant de la scène jurisprudentielle, les juridictions sont toutefois rompus à cet exercice qui n’a rien d’inédit.

Selon la jurisprudence constante, le test de proportionnalité comprend une triple exigence(2).

En effet, pour être proportionnée, une mesure restreignant une liberté doit, premièrement, poursuivre un objectif légitime, deuxièmement, être pertinent pour atteindre l’objectif poursuivi, troisièmement, le rapport « coût-bénéfice » entre l’objectif poursuivi et la restriction de ladite liberté ne doit pas être disproportionné stricto senso.

Dans un arrêt du 25 février 2021 la Cour constitutionnelle a, à son tour, évalué la constitutionnalité d’une mesure de lutte contre la pandémie au regard du principe de proportionnalité. Dans le cas d’espèce, la demande de suspension vise la mesure établissant que « seul l’avocat de la personne internée et le ministère public peuvent participer aux audiences devant la chambre de protection sociale, sauf décision contraire motivée »(2). Il en résultait que la personne internée ne pouvait plus participer à ces audiences le concernant.

Si l’intention du législateur « de protéger la santé publique en limitant au maximum les contacts physiques entre personnes » est jugé par la Cour constitutionnelle comme légitime, celle-ci ne considère pas que la suspension du droit à être entendu des personnes internées est la mesure la moins dommageable pour atteindre cet objectif.

En effet, selon la Cour, cette mesure :

« semble aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire au regard de cet objectif. Il n’est pas démontré en l’espèce pourquoi cet objectif ne pourrait pas être atteint à l’aide de mesures moins restrictives permettant quand même à la chambre de protection sociale de s’assurer de la situation actuelle de la personne internée, comme une comparution par vidéoconférence, une comparution dans une salle d’audience suffisamment spacieuse et bien ventilée, ou une audience de la chambre de protection sociale dans l’institution où séjourne la personne internée. ».

La Cour constitutionnelle tient compte du contexte dans lequel la norme s’insère et notamment de sa temporalité. Elle ajoute en effet que la mesure arrive tardivement dans la lutte contre le Corona virus. La Cour tient également compte de la norme dans sa globalité c’est-à-dire en ce compris les facultés de dérogation au principe. Concrètement, la Cour constitutionnelle a considéré que laisser la possibilité à la chambre de protection sociale de déroger à cette règle n’implique pas que la chambre le ferra. Cet élément n’est donc pas de nature à convaincre la Cour quant à la proportionnalité de la mesure.

Si la Cour constitutionnelle admet que la poursuite de l’objectif légitime de santé publique peut se faire par le biais d’aménagement de procédure, elle jugé qu’il est déraisonnable que

« des personnes vulnérables soient privées, même temporairement, de la possibilité d’être entendues en personne aux audiences de la chambre de protection sociale, alors que cette chambre doit pouvoir apprécier correctement l’état mental ou psychique dans lequel se trouvent ces personnes afin d’éviter qu’elles soient privées de liberté plus longtemps que nécessaire »

On retiendra deux éléments de cet arrêt faisant application de la jurisprudence classique de la Cour en matière de proportionnalité de mesures restreignant certaines libertés.

Premièrement, la protection de la santé publique est un objectif légitime en soi. Cet élément n’est pas discuté par la Cour.

Deuxièmement, afin de juger de la nécessité d’une telle mesure, la Cour a replacé cette mesure dans le continuum de celles qui ont été ou qui aurait dû être entreprises par le législateur. En jugeant que cette mesure arrive trop tard dans la lutte contre le COVID, la Cour appelle à la cohérence dans l’action du législateur.

Par cet arrêt la Cour constitutionnelle assure son rôle de gardien des libertés fondamentales et suspend la disposition attaquée.

 

(1) C.E., arrêt n°83.940 sprl Ramsescontre ville de Vilvorde du 7 décembre 1999, C.C., arrêt n° 122/2019 du 26 septembre 2019.
(2) C.C., arrêt n° 32/2021 du 25 février 2021.