Le 28 décembre 2021 le Conseil d’État a rendu, dans le cadre d’une procédure de suspension en extrême urgence, un arrêt (1) concluant à la suspension de « l’article 4 de l’arrêté royal du 23 décembre 2021 modifiant l’arrêté royal du 28 octobre 2021 portant les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d’urgence épidémique déclarée concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 ». Cette disposition impose la fermeture des espaces intérieurs des établissements du secteur culturel afin de lutter de manière préventive contre une résurgence des cas de Covid dû au variant Omicron. Pour rappel, l’article 4 de la loi du 14 août 2021 (2) ou loi dite pandémie permet au Roi d’adopter des mesures de police administrative en vue de protéger le santé publique dans les cas d’urgence épidémique. En raison de la «quatrième vague», l’arrêté royal du 28 octobre 2021 (3) a déclaré la situation d’urgence épidémique et mis en place différentes mesures sanitaires auxquelles vient s’ajouter la mesure attaquée.
Dans son arrêt, le Conseil d’État relève que, si la mesure attaquée tend à protéger la santé publique, elle restreint toutefois la liberté d’expression artistique et la liberté d’entreprendre du requérant. Traditionnellement, il ne peut être fait atteinte à des droits fondamentaux que dans le respecte du triple test de proportionnalité. La restriction doit être adéquate (elle atteint le but poursuivi), elle doit être nécessaire (elle est la mesure la moins intrusive), enfin, elle doit proportionnée (elle fait une juste balance des intérêts en cause). C’est donc à l’aune de ces conditions cumulatives que le Conseil d’État a jugé de la légalité de l’acte attaqué.
La haute juridiction administrative souligne d’emblée que « cette mesure de fermeture n’était pas directement préconisée par les experts du GEMS compte tenu de la situation sanitaire au 21 décembre 2021 ». À cet égard, l’autorité compétente n’a pas motivé spécialement pourquoi elle s’écartait des recommandations des experts. Le Conseil d’État prend acte des études scientifiques avançant que les espaces intérieurs du secteur de la culture du fait des protocoles sanitaires qui leur sont propres, sont potentiellement moins à risque que d’autres lieux, tels les écoles, les lieux de travail ou les magasins. La Conseil d’Etat remarque que l’acte attaqué ne démontre pas concrètement, au regard des données scientifiques existantes, en quoi la mesure entreprise est « incontournable » pour protéger la santé publique contre la propagation du variant Omicron. En conséquence : « l’acte attaqué n’explique pas en quoi cette mesure de fermeture pour les lieux clos de la culture était, pour ce secteur, la seule nécessaire à pouvoir atteindre l’objectif poursuivi à savoir protéger efficacement la santé de la population contre la propagation du coronavirus ».
Cet arrêt se limite à suspendre la mesure de fermeture des espaces intérieurs du secteur culturel. Toutefois, à suivre le Conseil d’État, l’autorité compétente doit prouver que les mesures de fermeture d’établissement en vue de protéger de la santé publique sont « incontournables ». En d’autres termes, il revient à l’auteur de la mesure de prouver qu’au regard des dernières données scientifiques à jour aucune autres mesures moins attentatoires des libertés ne saurait rencontrer l’objectif poursuivi.
Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État a pu juger qu’il existait une mesure moins attentatoire à celle attaquée, sans craindre de faire oeuvre de pouvoir exécutif, car la haute juridiction pouvait se référer au protocole sanitaire en place et aux études scientifiques apparentées. Un tel exercice est moins aisé lorsqu’aucun précédent ne permet de comparaison.
Cet arrêt ne crée pas de rupture avec ceux précédemment rendus par le Conseil d’Etat lorsque celui-ci était invité à se prononcer sur les mesures prises en vue d’endiguer la pandémie de COVID-19. En effet, dans ses précédents arrêts, le Conseil d’Etat mettait en évidence l’importance du contrôle de la proportionnalité de la mesure tant au regard des connaissances scientifiques existantes, qu’au regard des autres mesures adoptées et de leur cohérence.
(1) CE, arrêt n°252564 du 28 décembre 2021
(2) M.B., 20 août 2021
(3) M.B.¸ 28 octobre 2021