Par une décision du 13 octobre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande d’une employée administrative d’un hôpital qui, du fait de son refus de se faire vacciner, s’est vu interdire de poursuivre son travail et priver de sa rémunération(1). Quelques réflexions.

L’apparition de la pandémie de COVID-19 bouscule beaucoup de nos certitudes. En tant que société, elle pose la question des libertés publiques et individuelles. Si le débat existe en Belgique, notre pays n’est pas isolé et la question du respect de l’état de droit est au centre de discussions délicates chez nombre de nos voisins.

Puisque le droit est destiné à permettre aux personnes de vivre ensemble, il n’est évidemment pas surprenant que la discussion se (dé)place sur le plan judiciaire, les juges étant garants de la bonne application du droit.

De nombreux pays cherchent des solutions pour répondre au défit de la pandémie et à l’obligation positive qu’impose – à tout le moins en Europe – le droit à la vie de prendre des mesures de protection de la population(2). La France a, ainsi, imposé une obligation vaccinale (notamment) aux personnes travaillant dans le secteur des soins de santé.

Tel est le cas de madame C., employée administrative dans un hôpital. Elle ne souhaite pas être vaccinée et, après un rappel à l’ordre, se voit donc interdire de poursuivre son activité professionnelle, sans indemnités. Elle s’adresse donc au tribunal administratif de Versailles afin de voir annuler cette suspension de son droit au travail. Par une ordonnance du 13 octobre 2021, le tribunal administratif rejette cette demande, au motif que madame C. ne peut faire valoir une urgence acceptable.

Au travers de cette décision, qui porte sur un aspect procédural, le tribunal opère pourtant une balance des intérêts et une appréciation de la proportionnalité de la mesure qui impose la vaccination. Formellement, la décision rejette le recours au motif de l’absence d’urgence. Plus précisément, le tribunal estime que l’urgence de madame C. résulte de son propre comportement et ne peut justifier la suspension de la mesure qu’elle attaque.

Le tribunal constate en effet que l’interdiction faite à madame C. de poursuivre son travail découle du fait que madame C. a refusé de se faire vacciner. Or, constate le tribunal, « la requérante n’invoque aucune contre-indication à son état de santé ni d’ailleurs le moindre motif pour lequel elle aurait négligé ou refusé de se soumettre à l’obligation vaccinale ». Il ajoute que « en l’espèce, en refusant ou négligeant de se soumettre à l’obligation vaccinale, Mme C s’est placée elle-même dans la situation d’urgence qu’elle invoque ».

Comme en Belgique, c’est la temporalité qui vient ici au secours des pouvoirs publics et des normes qu’ils ont adoptées pour (tenter d’)enrayer la pandémie.Faute d’urgence, le tribunal administratif vient alors refuser, aussi, d’interroger d’autres juridictions sur la constitutionnalité de la norme qui impose la vaccination comme condition d’accès au travail. À notre estime, ceci est dommage, habile, mais dommage.

En effet, l’urgence de madame C. naît, certes, de son choix, mais si ce choix ne pouvait lui être imposé, pouvait-on lui refuser de l’avoir exercé ? Cette question, par le recours à l’urgence, le tribunal administratif l’écarte. Ceci nous semble regrettable.

Il nous semble qu’il peut être légitime de ne pas mettre à mal une politique menée sous le bénéfice de l’urgence en faisant peser, sur l’individu comme sur la collectivité, les conséquences d’une temporalité qui ne permet pas les atermoiements. En ce sens, ne pas sanctionner immédiatement la décision qui interdit à madame C. de travailler peut se comprendre. Le droit, pourtant, ne peut servir uniquement à résoudre les intérêts particuliers. Pour ce motif, il serait heureux que, sans immédiatement se prononcer sur la situation individuelle, la conformité de mesures qui restreignent les libertés avec les règles constitutionnelles ou conventionnelles qui garantissent nos libertés, soit interrogée. Ce n’est que parce que la légitimité sera réellement examinée que la norme pourra être acceptée. Le refus du débat, au motif de l’urgence, ne sert aucun intérêt. D’autant que le droit permet – et doit permettre – de concilier le temps (parfois nécessairement court) de la décision et le temps (nécessairement long) de l’analyse.

La décision rendue répond au temps de la décision, pas à celui de l’analyse. Prenons ce temps.

 

(1) http://versailles.tribunal-administratif.fr/content/download/184952/1788548/version/1/file/2108368.pdf

(2) Dans son arrêt Renaud LE MAILLOUX contre la France, du 5 novembre 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé qu’il appartient aux Etats de protéger l’intégrité physique de leur population.