La victoire de la loi générale

24.12.2022
By Swing-Law
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L’année 2022 se termine et, progressivement, des décisions de justice se prononcent sur le recours qu’ont eu les gouvernements aux lois générales pour gérer la situation peu commune de pandémie liée à l’apparition et la propagation rapide du coronavirus Sars-Cov-2 1 Nous renvoyons notamment aux arrêts de la Cour de Cassation des 28 septembre 2021 (P.21.1129.N) et 10 novembre 2021 (P.21.0931.F), du Tribunal de première Instance de l’Union européenne du 27 avril 2022 (Robert Roos e.a. contre Parlement européen, T-710/21) et du Conseil d’Etat (n° 248.818 du 30 octobre 2020).

Ce 22 décembre 2022, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur la validité de la loi (générale) du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », invoquée et utilisée par les pouvoirs publics pour justifier de nombreuses mesures dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19.2https://www.const-court.be/public/f/2022/2022-170f.pdf

Plusieurs juges ont interrogé la Cour constitutionnelle sur la compatibilité d’une telle loi avec les principes et droits fondamentaux qui régissent, notamment l’exercice de nos libertés individuelles et la légalité en matière pénale. La question est légitime : peut-on se référer à une loi aussi générale que la loi relative à la sécurité civile pour gérer une situation exceptionnelle telle une pandémie ? Question sous-jacente : ne faut-il pas préférer une loi spécifique ?

Dans son arrêt de ce 22 décembre 2022, la Cour Constitutionnelle apporte des éléments de réponse à ces questions.

Interrogée sur la question de savoir si une disposition très générale peut valablement habiliter le Ministre de l’Intérieur à prendre des mesures d’interdiction de rassemblement ou de se trouver inutilement sur la voie publique et sur la question de savoir si des notions telles que « circonstances dangereuses » ou « protection de la population » ne doivent pas être mieux définies, la Cour rappelle qu’« il faut […] tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment ». La Cour rappelle ainsi que « La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale ».

La délégation au Ministre de la précision des mesures est justifiée selon la Cour constitutionnelle par le fait qu’il est impossible, pour le législateur, de prévoir toutes les hypothèses possibles et impossibles. Il a donc valablement pu recourir à une description très large afin de permettre au Ministre de l’Intérieur d’agir adéquatement face à des risques variés. La Cour valide ainsi le recours à cette délégation large compte tenu, notamment de « l’évolution constante des circonstances, des incertitudes y afférentes et de la technicité des mesures à prendre ».

Comme elle le fait souvent, la Cour rappelle encore que « lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. C’est au juge compétent qu’il appartient de contrôler si le délégué a excédé ou non les termes de l’habilitation qui lui a été conférée ». Sur cette base, la Cour rappelle que l’habilitation n’est pas un blanc-seing et que le juge est présent pour surveiller le comportement du Ministre. À cet égard, la Cour précise, en l’espèce, que « la Chambre des représentants exerce déjà le contrôle politique ordinaire sur le ministre de l’Intérieur », qui peut être convoqué devant la Chambre et devant laquelle il est responsable. Le contrôle est démocratique par les élus du peuple et par les juges.

Le juge, précisément, doit alors disposer d’un pouvoir utile et effectif. C’est là que la Cour constitutionnelle identifie une faille dans le système ainsi utilisé : les infractions aux mesures adoptées en exécution de l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile sont sanctionnées pénalement, mais le juge n’est pas habilité à prendre en compte des circonstances atténuantes. Pourtant, nous rappelle la Cour constitutionnelle, « Le principe de la proportionnalité des peines fait partie intégrante de notre système juridique ». Certes, il appartient au législateur de fixer les peines – et donc de prévoir ou non de pouvoir prendre en compte des circonstances atténuantes. Il faut cependant que ceci soit défendable en l’espèce. La Cour relève qu’elle n’aperçoit pas ce qui a, en l’espèce, justifié de ne pas prévoir de telle possibilité. Pour ce motif, le régime est alors sanctionné. La Cour juge que le juge qui a à connaître d’infractions aux mesures COVID « doit pouvoir tenir compte de circonstances atténuantes à l’égard des faits dont il est saisi ».

Si, certes, l’arrêt valide largement le recours à des arrêtés ministériels pour encadrer les comportements en temps de pandémie, il est surtout utile en ce qu’il rappelle et explicite qu’une loi générale peut valoir aussi bien qu’une loi d’exception. Nous pensons même qu’elle peut y être préférée, puisqu’elle a le mérite d’être prévisible et de ne pas devoir être adoptée dans la précipitation et l’émotion.