Ce 7 avril 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt1
Affaire C‑228/20, I GmbH contre Finanzamt H, CURIA – Documents (europa.eu)
qui, s’il traite de fiscalité, intéresse pourtant au plus haut point l’accès aux soins.
Le litige portait sur la question de savoir si un opérateur hospitalier privé, reconnu comme tel, mais qui n’est pas intégré dans le « plan des besoins hospitalier » du Land où il est établi, peut bénéficier ou non de l’exonération de la TVA pour les services qu’il rend à ses patients. L’administration fiscale allemande estime que, n’étant pas inclus dans ce plan, il ne se justifiait pas de lui octroyer l’exonération. L’entreprise en cause, qui exploite l’hôpital privé concerné, y voyait une discrimination. La juridiction allemande qui a posé la question préjudicielle ayant mené à l’arrêt a considéré, pour l’examen de la possibilité d’appliquer l’exonération, qu’elle doit analyser les conditions du point de vue du patient plus que du point de vue de l’opérateur lui-même.
Pour répondre aux questions préjudicielles qui lui ont été posées, la Cour rappelle que les exonérations de TVA sont et doivent rester exceptionnelles. Elle rappelle aussi que de telles exonérations doivent s’analyser davantage au regard de leur objectif que du texte formel. À cet égard, la Cour rappelle alors que « les prestations de nature médicale effectuées dans un but de protéger, y compris de maintenir ou de rétablir, la santé des personnes peuvent bénéficier de l’exonération prévue »2 Considérant 51 de l’arrêt.
. C’est donc bien le but des prestations qui est déterminant pour justifier de l’exonération. La Cour relève, néanmoins, que les Etats membres sont compétents pour reconnaître – ou pas – les établissements qui peuvent bénéficier de l’exonération en cause. Cet exercice, pourtant, doit être réalisé dans le respect du principe de « neutralité fiscale »3 Voir CJUE, arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C‑846/19, EU:C:2021:277, point 57. Voir aussi CJUE, arrêt du 10 juin 2010, CopyGene, C‑262/08, EU:C:2010:328, point 64 et jurisprudence citée.
.
C’est ce principe qui sera alors invoqué par la Cour pour encadrer le pouvoir d’appréciation des autorités publiques. En effet, l’inscription d’une institution de soins dans le « plan des besoins hospitalier » du Land où il est établi, consiste à voir la place que cet établissement peut remplir dans la politique de soins. A priori, ceci relève très clairement de l’autonomie des Etats membres. La Cour relève alors, au regard de la « neutralité fiscale » que la règle de l’exonération « s’oppose à une législation nationale qui, en prévoyant que les prestations de soins fournies par un établissement hospitalier privé sont exonérées de la TVA si cet établissement est agréé conformément aux dispositions nationales relatives au régime général d’assurance maladie, à la suite de l’intégration au plan hospitalier d’un Land ou de la conclusion des conventions de prestation de soins avec les caisses d’assurance maladie ou de substitution légales, conduit à ce que les établissements hospitaliers privés comparables fournissant des prestations similaires dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour les organismes de droit public soient traités de manière différente à l’égard de l’exonération prévue à cette disposition ».
La seconde question préjudicielle porte, alors, sur la question de savoir quelles sont les « conditions sociales comparables » qui doivent être prises en compte pour justifier de l’exonération. Concrètement, sont-ce des conditions qui ont trait à l’opérateur ou aux prestations et, partant comme le suggère la juridiction allemande de renvoi, aux patients bénéficiaires des prestations ? La Cour, là encore, apporte une réponse nuancée. Elle relève que, certes, la question porte sur les prestations, mais que « la question [est] de savoir si les forfaits journaliers sont calculés de manière comparable dans un établissement hospitalier privé et dans un établissement hospitalier de droit public peut s’avérer pertinente »4 Considérant 81 de l’arrêt.
. La question est, là, de savoir « si les prestations fournies par les établissements hospitaliers privés sont prises en charge par le régime de sécurité sociale ou au titre de conventions conclues avec des autorités publiques d’un État membre, de telle sorte que les coûts restant à la charge des patients sont d’un niveau comparable à ceux supportés par les patients d’établissements publics » 5 Idem
. Elle ajoute, cependant, que des indicateurs de performance de gestions peuvent être pris en compte, s’ils existent aussi pour les hôpitaux publics.
L’accès aux soins est, à n’en plus douter, un enjeu majeur de la politique de santé. Cette accessibilité se mesure, notamment, au travers de l’accessibilité financière. Par le recours à la « neutralité fiscale », la Cour évite l’écueil de se prononcer sur la politique de soins dans les Etats membres, tout en prenant en compte l’objectif de l’exonération de la TVA : l’accessibilité des soins. L’accessibilité est une mesure qui limite la pouvoir des Etats membres dans la détermination de leur politique. L’arrêt confirme ainsi que les Etats membres disposent d’un large pouvoir mais que ce pouvoir doit s’exercer en garant à l’esprit la qualité et l’accessibilité des soins. Cette fois-ci ce constat provient de la fiscalité ; comme quoi fiscalité et accessibilité de soins de santé font bon ménage…